On est frappé par l'abondance et la diversité des témoignages de la conscience politique. Le dogme dirigeant du roi «empereur en son royaume» n'a pas impliqué que les monarques successifs aient pu exercer leur empire sur une société muette. C'est le contraire qui s'est produit. Les forces vives du royaume n'ont jamais manqué d'interprètes pour soutenir, escorter, critiquer ou combattre le pouvoir. Par toutes sortes de biais, traités, discours, sermons, doléances, par une foule d'écrits théoriques ou bien de circonstance, gouvernants et gouvernés ont entretenu un dialogue constant, gage d'un consensus intellectuel et moral suffisamment solide pour assurer, bon gré mal gré, la cohésion nécessaire du pays. C'est dans les idées et les croyances politiques du temps ainsi manifestées qu'ont pris racine les institutions étatiques, que la couronne est apparue à tous comme une entité indisponible, préservatrice du destin communautaire, et que les Français, qui déjà se proclamaient libres, se sont habitués à vivre sous une royauté prompte à arborer sa stature «très chrétienne» et impériale.
Jacques Krynen, L'empire du roi. Idées et croyances politiques en France, XIIIe-XVe siècle, Paris, Gallimard, 1993, Bibliothèque des Histoires, 556 p.